Sa Majesté le CEPE
Cache-cache dans la Forêt
Il y a un parcours initiatique des plus ludiques
Qui ne se pratique que deux ou trois fois dans l’année
Au début de l’Automne lorsqu’apparaît le roi des champignons
Sa Majesté le Cèpe
Avec sa cohorte de lutins, malicieux metteurs en lumière
Suivant la volonté du roi, ils offrent la vision aux méritants
Une apparition digne des mises en scènes hollywoodiennes
Vous faîtes OH ! vous dîtes AH!
Sa Majesté le Cèpe sort de terre pour nous proposer
Bien plus que son goût raffiné …
Sa royauté est naturellement discutée
Elle donne même lieu à des bagarres de clochers
Entre les adorateurs de girolle, de morilles ou de pieds de mouton !
Chacun sa religion en matière culinaire
Moi je ne parle pas du cèpe frit et assaisonné
Dont les effluves excitent l’appétit des ventres gourmands
Je vous parle d’un Roi sacré par la Forêt
Je vous parle d’un éphémère messager du merveilleux
Mais avant d’en arriver à franchir ces portes
Il y a tout un protocole
Pour pénétrer la forêt
Il faut d’abord entrer en soi
Faire le ménage, s'emplir d’humilité
Lâcher prise
Ensuite vous adressez un message d’amour à la beauté de ce monde
Avant de formuler votre requête
« Je suis là pour honorer la grandeur de Mère Nature
Et rencontrer en son royaume
Sa Majesté le Cèpe »
Alors seulement s'ouvrent les portes et débute la chevauchée du zig et du zag
Chercher le cèpe, c'est s'en remettre aux mains de la forêt
Il faut calmer les ardeurs citadines
On n’impose rien à la Forêt et à son monde magique
On prend le temps d'Être
On pénètre un nouvel univers
Chaque portion de forêt a des dominantes de couleur et de senteurs
Suivant les essences d’arbres on change de ciel
Ma canne « Baranton » à la main
Je commence par calmer mon intériorité possessive
Je deviens l’arbre, la fougère, le bouquet de bruyère
Je respire, je sens l’odeur des sous-bois
Je m’appuie contre les arbres centenaires
Ma main s'approche... toc toc, je peux entrer
Grand Chêne donne moi ta paix, ta vision, ton état de sérénité
Uni à la terre et au ciel tu es un vieux méditant
Donne moi la valeur d'un gland de sagesse
Pour m’inscrire dans la vibration paisible du lieu
Ici des traces d’animaux ont bouleversé la terre
Là-bas j’entends un oiseau chanter ici ici ici
Je suis mon ouïe
Je croise des familles nombreuses de champignons
Un clin d’œil à chacun et je continue ma quête
Mon errance, d'arbre majeur en arbre majeur
Mon regard au départ se promenait
Maintenant il se pose
Là une vieille demoiselle coulemelle
Haute perchée sur sa grande patte
Elle semble tout voir du haut de son observatoire
Je lui demande le chemin des cèpes
Elle me répond au premier signe de la forêt, tu tournes à droite
Nouvelle ambiance, je passe sous les sapins
Tout est calme, mes pas sont ceux d’un indien sur les aiguilles de pins
Une traversée douce et tiède du monde du silence
Et toujours rien…
Chercher des cèpes c’est comme un chemin de vie
Tu te cherches dans le miroir de la matérialité
Avoir et posséder
Avant de t’apercevoir que ce qui vaut c’est la manière dont tu te sens
Je parle de ton intériorité
Comment tu t’inscris dans ton univers
Et quand tu te sens bien, tout va, tout vient !
Ici tu t’harmonises à la magie et la douceur de la forêt
A ses lutins coquins à la forêt délicieusement mutine
Mademoiselle Coulemelle m’a pris pour un grand pied
De ceux qu’elle aperçoit saccageant la forêt
Pour entasser les champignons par kilos et se prendre en photo
Mademoiselle Coulemelle éclate de rire en moi
Heureusement que je peux jouer
Malgré ma grande robe et mon look à la Geneviève de Fontenay
J’étais ravie que tu me parles
Mais c’est plus fort que moi, c’est de famille
Toutes les coulemelles sont des farceuses…
Peut-être pour cela que les grands pieds les mangent farcies !
Tu es sur le bon chemin, la forêt finira par t’éclairer
Hum…
Moins de cinq minutes s’écoulent
Et coucou, voilà un cèpe mis en lumière
Une exclamation de reconnaissance
Un soupir témoigne de la joie intime de mon cœur
Qui découvre à ce moment un monde magique
Relié à ce cèpe, il y a les racines et le regard des grands arbres
Je sais que je suis vu
L’esprit de la forêt s’est cristallisé
Je me penche avec gratitude
Installé sur son trône d’humus
Il faut s’agenouiller
Etre à son pied
Devenir son sujet
Pour que la magie puisse opérer
Alors on voit son chapeau devenir couronne
Les lutins éclairagistes l’iriser de lumières
Le fou du roi n’est pas celui qu’on croit
Le fou est celui qui ne voit qu’avec le ventre
Qui est dominé par l’obsession de la possession
Le fou est celui qui n’a pas conscience de sa malhabile exubérance
Pourtant
Le Roi Cèpe peut t’aider sur ton chemin
Sa couronne peut devenir chapeau de magicien
Je le préviens que je vais l’amener dans l’ailleurs
L’offrir à l’attention des mains de ma fée bien aimée
Avant qu’il ne soit convié dans mon palais
Il accepte, je le remercie
Après avoir recouvert la base de son trône tranché par mon opinel
Je recouvre ses traces de feuilles et de terre
Comme un rituel ancestral, je le fais disparaître de ce monde içi-bas
Enlevé pour renaître là
Le cèpe tout au long de ce cérémonial m’initie à l’éphémère de la vie
Et à la mort ou plutôt, à la renaissance promise
Le partage avec sa royauté dépasse la rationalité des mots
Le reste pourrait être évocation sexuelle
Esotérie des symboles
Prédication d’avenir
Chacun son mode de relation
Chacun ses requêtes
Chacun ses secrets
Rien ne sortira de la forêt
Seigneur Cèpe
Vous êtes un grand bonheur
A rencontrer
Merci Dame Forêt
Ma récolte est votre présent.
Lamigo